L'eau à Sfax  (2)

(Source l'Illustration n° spécial : "L'empire français dans la guerre"  mai 1940 - Coll. Ch.  Attard)

Les travailleurs recrutés furent des Tunisiens des régions de Kairouan et de Sousse, des Kabyles, des Marocains, et beaucoup de Tripolitains. Ils furent initiés aux différentes sortes de travaux à effectuer et encadrés par des ingénieurs et chefs de chantier européens. Tout ce monde était hébergé dans un campement mobile composé de tentes pour les indigènes, et de baraquements en bois démontables pour loger les cadres européens et les bureaux.


(livret Pont-à-Mousson - 1911-1914)

Le ravitaillement était amené en même temps et par les mêmes moyens que les tuyaux et autres matériels nécessaires à la construction et à l’étanchéité de la conduite. Une cantine, installée à proximité du chantier par l’entreprise, fonctionna pendant la durée des travaux. Pour l’eau, on utilisa celle de Sbeïtla que l’on prenait dans la conduite à une dizaine de kilomètres en arrière de la zone de travaux, et qui était amenée sur le chantier à dos de mulets (6 à 8 chaque jours).


(livret Pont-à-Mousson - 1911-1914)

Les tuyaux étaient débarqués soit à Sousse (pour la moitié supérieure du parcours), soit à Sfax pour le reste. De Sousse à Sbeïtla la voie ferrée de la C.F.T. fut utilisée, les tuyaux étant ensuite transportés individuellement par des arabas sur une distance n’excédant pas une quinzaine de kilomètres. 

Une araba
Illustration de Roger Irriéra, extraite de l'atlas de Tunisie"  Horizons de France -Paris 1936 (col. G. Bacquet)



Pour arriver jusqu’au kilomètre 77 de la conduite, un transport direct par " Decauville " tracté soit par des dromadaires ou des mulets, soit par des locomotives au benzol, fut utilisé. 

(livret Pont-à-Mousson - 1911-1914)

Pour le matériel arrivant par le port de Sfax, il ne pouvait être question d’effectuer le transport au moyen d’arabas sur 80 km, surtout que la route empierrée sur seulement cette distance, et reliant Sfax à Tébessa, ne passait pas à proximité du chantier. Là aussi on utilisa le transport par chemin de fer de campagne avec des locomotives à benzol à cause des difficultés du ravitaillement en eau.

L’oued Sbeïtla, à traverser trois fois sur une largeur de 300 à 400 m, comportait un lit de sable épais de 3 à 4 m, reposant sur une couche d’argile. Pour que la conduite ne fut pas emportée à la moindre crue suivant un orage, il fallut creuser des tranchées dans le sable pour atteindre la couche imperméable dans laquelle la conduite fut posée. Pour l’oued Djilma Neggada où l’on trouva de la vase sur une épaisseur de 3 à 4 m, il fallut également traverser cette couche en ouvrant des tranchées en talus sur une grande largeur avant de faire reposer la conduite sur un lit de cailloux cassés. 


(livret Pont-à-Mousson - 1911-1914)

Sur les sols durs formés de rocs, la tranchée fut creusée à la mine puis approfondie. Le fond en fut ensuite remblayé avec un matelas de pierrailles épais de 20 cm sur lequel reposa la conduite. Ce travail fut effectué sur un peu plus d’une vingtaine de kilomètres. Au moment de ces derniers travaux, plus de 500 terrassiers indigènes étaient à l’œuvre sur le chantier, si bien qu’aucun retard ne fut enregistré sur cette zone.

(Source l'Illustration n° spécial : "L'empire français dans la guerre"  mai 1940 - Coll. Ch.  Attard)

L’automne 1912 fut particulièrement orageux. Les pluies torrentielles transformèrent les oueds en torrents furieux. Des tronçons entiers de ligne de chemin de fer et de route furent emportés, des remblais démolis, le chantier principal qui se trouvait alors dans la plaine du Faïd Krechem subit de gros dégâts, la plaine ayant été transformée en lac en quelques heures.

Malgré tous ces problèmes, le travail avança, et au fur et à mesure de la progression de sa pose, la conduite fut testée par tronçons de 1 km, à une pression supérieure de 5 kg à celle de sa charge statique d’utilisation qui n’était jamais inférieure à 10 kg. Une fois l’essai reconnu satisfaisant, la tranchée était remblayée en utilisant de la terre fine jusqu’à une vingtaine de centimètres au-dessus des tuyaux, puis en terminant par du tout-venant pilonné en couches.

Le 24 avril 1911, alors que le chantier de terrassement était proche des ruines romaines de Sbeïtla, le Président de la République française, M. Armand Fallières qui se rendait de Metlaoui à Kairouan, s’arrêta pour les visiter ainsi que le chantier. Il eut ainsi la possibilité de passer sous un arc de triomphe romain bien conservé, et sous celui érigé pour l’occasion par la Société Pont-à-Mousson, en utilisant des tuyaux destinés à la canalisation. Il va sans dire que la durée de vie de ce dernier fut infiniment plus brève que celle de l’ouvrage romain qui est toujours debout


(livret Pont-à-Mousson - 1911-1914)


(Source l'Illustration n°3503 
du 16 avril 1910 - Coll. Ch.  Attard)

En 1912 l’administration réceptionna les 53 km de la conduite de Sbeïtla au col du Faïd. Il y eut ensuite des réceptions provisoires siphon par siphon suivant le cahier des charges. L’année 1914 fut particulièrement sèche, et quand l’eau fut à 20 km de Sfax la municipalité demanda que fut organisé un service de transport d’eau dans des demi-muids (tonneaux, le muid était égal à 274 litres) transportés par chemin de fer ; ce qui fut fait. En mai 1914 la conduite était essayé jusqu’au réservoir, à 11km de la ville. Lors de l’attentat de Sarajevo, la conduite n’était plus qu’à 3 km du rond-point (de Picville) d’entrée à Sfax. Le 14 juillet la conduite toucha Sfax et l’eau arriva dans la ville peu de temps après. La partie distribution, malgré le début du conflit mondial entraînant une forte réduction des effectifs, fut néanmoins achevée pendant les premiers mois de la guerre.
Le château d’eau, qui avait dès lors perdu son utilité, fut démoli et la place de la Casbah retrouva son aspect d’origine.


Une fois trouvée la source convenable (cela prit 2 ans), et l’année d’études qui suivit pour la mise sur pied du projet et son acceptation, il ne s’écoula que 3 ans entre le premier coup de pioche et l’arrivée à Sfax de la première goutte d’eau en provenance de Sbeïtla. Le certificat attestant que la Société de Pont-à-Mousson avait toujours rempli ses engagements à son entière satisfaction, fut accordé à Tunis le 19 juin 1922.

(livret Pont-à-Mousson - 1911-1914)

Il faut souligner que la Municipalité de Sfax avait eu le nez creux en préférant faire réaliser tout de suite une conduite de 100 l/s plutôt que deux de 50 l/s, l’une après l’autre. L’approvisionnement en eau qui résulta de cette importante réalisation fut suffisant jusqu’à la fin du deuxième conflit mondial durant lequel la conduite ne fut pas endommagée. Il arriva cependant que, lors du déroulement des combats, Sbeïtla soit occupée par les forces alliées qui fermèrent les robinets. La distribution d’eau fut rétablie lorsque les troupes de l’Axe, toujours présentes à Sfax, eurent repris Sbeïtla. Lors de leur retraite en avril-mai 1943, elles n’eurent pas le temps de s’incruster suffisamment longtemps près des sources pour couper l’eau arrivant à Sfax libérée.