Au temps des Romains, Thaenae (thyna) et Taparura (Sfax), sises en bord de mer, devaient être alimentées en eau potable. Rome attachait à l’eau une très grande importance, ne reculant pas devant des travaux de construction de grands aqueducs pour l’acheminer.


L'aqueduc romain de Sbeïtla en 1910 
(livret Pont-à-Mousson - 1911-1914)


Après le déclin de l’Empire romain, et l’invasion des Arabes ayant un autre mode de vie, les travaux des Romains, non entretenus, tombèrent en ruine. De par sa situation en bord de mer et sa ceinture protectrice de remparts, Sfax resta néanmoins une ville relativement importante et, au début du XIe siècle, El Bekri, cité par M. Masmoudi, disait que les Sfaxiens buvaient de l’eau de citernes, lesquelles lui conservaient un bon goût et la préservaient intacte. Ces citernes recueillaient l’eau des pluies, mais celles-ci n’étaient pas fréquentes.

Les besoins augmentant avec la population, deux importants bassins (les " fesquias ") destinés à retenir les eaux de l’oued Agareb, quand il coulait, furent construits entre 1772 et 1774, à un mille à l’ouest des remparts. Contenant chacun 20 000 m3 d’eau, ils servirent au cours du XXe siècle à l’irrigation du jardin public dans le périmètre duquel ils se trouvèrent inclus.

Citernes enterrées
(livret Pont-à-Mousson - 1911-1914)

Bassin du Jardin public photographié vers 1950.
(CPA Alain)

Les citernes que l’on pouvait voir à Sfax au nord des remparts, entre le cimetière musulman et les jardins (la route vers Tunis partant de Bab Djebli, construite ultérieurement, les longera à l’est), étaient incluses dans de grands espaces rectangulaires maçonnés et cimentés à un mètre au dessus du sol, et connus sous le nom de " nasrias ". Il y en a 597 d’une contenance moyenne de 15 m3. De place en place, on y observe des dômes, au sommet desquels une ouverture carrée permet aux Sfaxiens de puiser l’eau. 

Les plus nombreuses à venir s’y servir étaient les femmes, tel que rapporté par Jean Lorrain dans " heures d’Afrique ". Attachant leur cruche à une corde, elles la descendent dans la citerne, et une fois pleine la remontent et la remportent sur leur dos, suspendue par leur corde mouillée. Pour ceux et celles qui n’avaient pas la possibilité de s’y rendre, l’eau leur était livrée, moyennant finances, par des porteurs d’eau circulant à pied ou à dos de mulet.

"El Ma !"
(de l'eau)

Après l’installation de plus en plus importante des Européens à Sfax dans la seconde moitié du XIX e siècle, ces ressources en eau devinrent insuffisantes tant en quantité qu’en qualité, pour la centaine de milliers d’habitants de l’agglomération. Quand ils le pouvaient, de nombreux Européens s’approvisionnaient auprès des équipages des navires touchant le port, mais ce n’était qu’un pis-aller car les quantités obtenues ainsi étaient minimes.

Dès les premiers temps de la colonisation, deux puits artésiens furent creusés, l’un au nord, l’autre au sud-ouest de la ville. L’eau obtenue à 300 m de profondeur avait une forte teneur en sel (8 g/l), le débit était faible, et elle se révéla impropre à tout usage domestique autre que le lavage des sols carrelés.

Un puits arabe sur cette carte datée de 1911.
(ND Photo n° 11T - Coll. G. Bacquet)

En 1896, à Sidi Salah (17 Km de Sfax), on capta une nappe souterraine à 25 m de profondeur. L’eau puisée à l’aide d’une machine élévatrice était stockée dans un petit réservoir avant d’être acheminée en ville au moyen d’une conduite. Le débit qui était au maximum de 350 m3/jour diminuait en été, et la teneur en sel, de l’ordre de 3 g/l était encore trop élevée. Tout ceci n’assurait péniblement que 15 litres d’eau journaliers par habitant. Et encore fallait-il prélever l’eau de la consommation industrielle.
Pour assurer un meilleur stockage de l’eau, et une répartition plus régulière en fonction des saisons, un château d’eau fut élevé sur la place de la Casbah à l’angle de la ville arabe, côté Picville. Sa hauteur dépassait de beaucoup celle des remparts.

La Casbah et le château d'eau en 1910.
(CPA LL n°80 - Coll. G. Bacquet)

Le 3 décembre 1903, la conférence consultative adopta un vœu tendant à faire doter Sfax de l’eau qui lui était indispensable. Les précipitations, qui dans la région ne dépassaient pas en moyenne 200 mm/an, furent particulièrement faibles en 1906 et 1907. Il fallut, après prospection, se résoudre à aller chercher l’eau nécessaire à Sbeïtla (ancienne ville romaine importante appelée Suffetula), située à 170 Km de Sfax, la loi du 10 janvier 1907 comportant une prévision de 6 millions de francs. Le projet initialement présenté comportait l’installation d’une conduite permettant l’adduction de 50 l/s, une deuxième conduite identique devant la doubler ultérieurement. Les édiles municipaux de Sfax, préférant envisager immédiatement les sacrifices financiers nécessaires à la construction d’une conduite unique capable d’un débit de 100 l/s, exprimèrent leurs désirs en ce sens les 16 mars et 29 avril 1910. L’Administration des travaux publics avisa le 1er mai de la même année les soumissionnaires que les conditions du projet étant changées, leurs offres étaient rejetées. Les travaux de captage à Sbeïtla, entrepris dès 1909, se poursuivaient cependant, leur terme étant prévu pour la fin 1910.



Le même bassin de captage en 1949

(Photo Gilbert Bacquet)

Le bassin de captage des eaux
de Sbeïtla

(livret Pont-à-Mousson - 1911-1914)


L’offre de la Société Pont-à-Mousson pour l’installation d’une conduite débitant 100 l/s, entourée de toutes les garanties désirables, fut soumise le 28 mai 1910 et approuvée le 25 juin par M. de Fages, ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, et directeur des Travaux Publics de la Régence. On put alors s’attaquer à la réalisation du projet qui se proposait d’amener les eaux captées à Sbeïtla, dans un réservoir voisin de Sfax, et de distribuer ensuite cette eau dans tous les quartiers de la ville.

La conduite, caractérisée par une direction générale ouest-nord ouest/est-sud est devait parcourir une succession de cuvettes ou de bassins traversés par des oueds et séparés par des crêtes, dont la dernière, celle du Djebel El Kraïma, marquait la limite de la forêt d’oliviers entourant Sfax, à environ 25 km de cette dernière. 
La différence d’altitude entre les deux villes étant de l’ordre de 550 m, cela interdisait d’amener l’eau à destination sans rupture de charge. Il fallut donc trouver des emplacements convenables pour ramener l’eau au jour, puis la diriger vers l’aval. Le trajet fut donc décomposé en trois lots comportant des tuyaux de fonte de différents diamètres et des siphons, ceci afin de permettre le remplissage lent de la conduite tout en facilitant l’évacuation de l’air. En outre des robinets vannes de sectionnement étaient disposés tous les 5 km environ. Le dernier lot partait des réservoirs de distribution construits à 11 km de Sfax à la cote 55, et était composé de deux conduites de 400 mm de section. La première passait au nord des remparts ceinturant la ville arabe, la deuxième pénétrant au cœur de la ville européenne située entre la mer et la médina. Ces deux conduites étaient réunies par une conduite d’équilibrage de 250 mm de diamètre traversant la ville arabe et une partie de la ville européenne du nord au sud. Sur ces artères principales était branché un réseau maillé en tuyaux de 150, 100 ou 80 mm de diamètre, en fonction de l’importance de la population des quartiers desservis.

Transport des tuyaux par arabas dans le bled tunisien.
(livret Pont-à-Mousson - 1911-1914)

Les problèmes qu’eurent à résoudre les ingénieurs chargés de conduire et superviser ce travail furent :

  • celui du recrutement des travailleurs, de leur formation, de leur ravitaillement en vivres et en eau, ainsi que de leur logement ;
  • celui de l’acheminement du matériel nécessaire ;
  • celui des difficultés inhérentes à la nature du sol dans les différentes zones traversées (oueds, massifs rocheux), et aux conditions météorologiques (orages transformant les oueds en torrents dévastateurs).