Sfax (ville et port)
avant et après l'occupation germano-italienne

Cet article est basé sur deux documents photographiques et historiques qui m'ont été aimablement fournis par mon ami Peter CLARK, via le courrier électronique. Il m'en avait précédemment fait parvenir un que j'ai utilisé dans mon article intitulé " Moulinville ", paru dans le numéro 43 de notre revue (1). Quand on les étudie en détails sur l'écran de son ordinateur, en jouant sur le grandissement, ils sont très parlants pour qui ne se contente pas d'une vision globale. Je vais donc vous montrer ces deux photographies, puis, à partir de parties réduites, ce que l'on peut les faire dire.

Figure 1 : Photo aérienne prise lors d'un bombardement allié en 1943 (sans précision de la date)

Un examen sommaire permet de voir la ville arabe, le quartier franc, le quadrillage de la ville moderne, et, au niveau du port, les impacts des bombes (surtout visibles quand elles explosent sur l'eau). Le premier problème qui s'est posé à moi lorsque j'ai reçu ce document, consistait en la datation de ce bombardement. Sfax ayant été libérée le 10 avril 1943 une période d'un peu plus de 3 mois était à explorer. Dans le site Internet de Peter (2), on trouve une chronologie (écrite en anglais), de toutes les opérations aériennes alliées ayant eu pour cadre la Tunisie en général, et Sfax en particulier. Un autre document qui me fut utile est celui (3) présenté par Daniel Lecuyer dans le numéro précédent de notre revue. Sur la vue partielle ci-dessous, j'ai encadré quatre zones dont l'étude détaillée donne de nombreuses indications quand on possède des vues de Sfax prises avant, et après la Deuxième Guerre mondiale.

Figure 2 : quatre zones dignes d'intérêt.

La zone 1 (au milieu à gauche) montre l'état de l'ancienne usine électrique : elle fut complètement détruite lors du bombardement du 5 janvier 1943. Le fait que les deux bâtiments (dont le Collège technique) qui l'entourent n'aient pas été touchés, montre la grande précision de ce bombardement. La zone 2 (en haut à droite) correspond à la zone des ateliers du Sfax-Gafsa. Manifestement la rotonde a souffert, et ce pourrait être lors du bombardement du 11 janvier 1943 dont j'ai montré une image dans la référence (1). Faisons maintenant parler les ombres. Et en premier celles de la zone 3 où l'on peut voir, de gauche à droite, l'immeuble Taktak, le marché central et l'immeuble de la compagnie des ports.

Figure 3 : L'immeuble Taktak vers 1935 (à G) et en 1949 (à D)

Cet immeuble, achevé en 1931, a été réduit de moitié suite à la réception d'une bombe alliée sur sa partie gauche. Quel dommage que les souvenirs de Paule Fouché - Rigal, dans son livre " Ode à la vie " manquent de précision concernant ce point particulier. Sur la figure 2, on peut, en regardant l'ombre de ce dit immeuble, constater qu'elle est moins haute sur sa gauche que sur sa droite. Il avait donc été touché lors d'un bombardement précédant celui faisant le sujet de cet article. Toujours dans cette zone, l'ombre du minaret du marché central pointe quasiment vers le nord. Il était donc tout près de midi à l'heure solaire. Mais, tout comme pour la France, l'heure légale en Tunisie était GMT + 1 : donc l'heure où ce bombardement a eu lieu était très voisine de 13 heures. Dans la compilation des bombardements de Sfax donnée par M. Lécuyer, on trouve cité, en date du 14 janvier 1943, un gros bombardement du port, des installations ferroviaires et de la ville arabe, ayant débuté à 13 heures. Cela pourrait concorder car il était postérieur aux bombardements des 5 et 11 janvier 1943 dont j'ai souligné les dégâts ci-dessus. Dans la zone 4 on trouve les collèges de garçons et de filles qui ont, tous deux, subi des destructions liées aux bombardements de Sfax.

Figure 4 : le collège de garçons, avant (à G) et après (à D) la guerre de 39-45.

Figure 5 : idem pour le collège de filles.

Avant la guerre, la façade du collège de garçons, côté rue de Thyna, arborait une petite tour à chaque extrémité. Celle sise à l'angle de la dite rue avec la rue Philippe Thomas est indiquée sur la partie gauche de la figure 4. A signaler que son pendant est toujours visible à l'aplomb de la salle Douté. En ce qui concerne le collège de filles, la tour, bien visible sur la gauche de la figure 5, était en bordure de l'avenue Jules Gau. Sur les parties droites des deux figures, on constate qu'il n'y a plus de tours sur les parties reconstruites, après la guerre, dans un style architectural totalement différent de celui d'origine. Les tours de ces deux collèges étant donc placées sur les façades nord des deux bâtiments, voyons ce qu'il en est d'elles sur la zone 4 de la figure 1. Dans cette zone, le collège de garçons est en haut à gauche, et celui de filles en bas à droite. Pour les deux collèges l'ombre projetée côté nord est bien marquée, et sans accident. L'ombre des tours est visible, surtout pour le collège de filles. Ils n'avaient donc pas encore subi les foudres du ciel. Passons maintenant à la zone portuaire.

Figure 6 : détail de la zone portuaire lors du bombardement en question.

La partie A correspond à la zone d'embarquement des hyperphosphates Réno. Dans la partie B les appontements du M'Dilla (en haut) et de l'alfa (en bas) sont bien visibles.

Figure 7 : L'appontement des hyperphosphates Réno avant la guerre (à G), et en 1945 (à D).

On voit que la machine (massive) à charger le phosphate a disparu, et que le côté mer de la sorte de couloir couvert, avec des petites fenêtres, a subi des dégâts. Au vu de la position des impacts de bombes dans la partie A, il se pourrait bien que ce soit lors de ce bombardement que la machine à charger le phosphate ait été détruite. Mais rien n'est moins sûr. Dans la partie B, on voit qu'une bombe est tombée très près de l'appontement du M'Dilla, et que la base de l'appontement de l'alfa (petite bande noire) a été déjà détruite. Le premier de ces deux appontements avait une structure métallique élevée au dessus de sa base. Sur la figure 6, la mer apparaissant en noir foncé, on ne peut donc pas faire parler les ombres. Le bombardement du 14 janvier 1943 a impliqué 26 bombardiers B17 (forteresses volantes) escortés par 17 P38, volant à 23.400 pieds d'altitude, qui ont largué 253 bombes de 250 livres.

Figure 8 : les dégâts du port photographiés peu après la libération de Sfax.






Les deux soldats anglais (en short) et le soldat américain montent la garde dans ce qui apparaît comme un champ de ruines. Le quai des phosphates et les bâtiments des embarquements sont dans un état pitoyable. On ne voit plus grand-chose de l'appontement du M'Dilla (au milieu à D). La machine fixe à charger le phosphate (masse noire horizontale devant les installations Réno) a vacillé sur sa base. Les toits des hangars des embarquement (du moins ceux qui sont visibles au premier plan) paraissent intacts, ce qui n'est pas le cas des parois verticales (au milieu à gauche) dont des fragments semblent pointer vers l'intérieur. Cela m'amène à me poser la question de l'origine (bombardements alliés ou sabotages allemands) de ces dégâts. Il doit y avoir un peu des deux. Cependant, on constate la présence de destructions sur le bord du quai des phosphates à chacun des emplacements (j'en ai compté 8) où se trouvait une bitte d'amarrage. Là, il s'agit indubitablement de sabotage, car on voit mal un aviateur (surtout volant à haute altitude) se trouvant à la verticale du bord du quai, lâcher ses bombes aussi précisément. Tous ces détails sont bien plus visibles quand on regarde la photo plein écran sur son ordinateur. Mais vous pouvez me croire sur parole. On peut même y voir la partie supérieure des deux mâts d'un petit navire (sans doute une mahonne) coulé devant la machine fixe à charger le phosphate Je remercie bien sincèrement Peter CLARK de m'avoir aimablement communiqué ces deux documents d'un intérêt historique évident.

Références (1) G. Bacquet : La Diaspora sfaxienne 43 (2009), pp27-29. (2) www.edusfax.com (3) M. Lécuyer : La Diaspora sfaxienne 43 (2009), pp44-45

Toulouse, novembre 2009. Gérard Bacquet