Comment vivait-on à Sfax ?
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Sur les lieux de travail, où les cadres techniques étaient tous européens, cela s’expliquant par le peu d’attrait des Tunisiens, à l’époque, pour les études supérieures scientifiques, la collaboration entre les différentes ethnies ne posait, dans l’ensemble, pas de problème, mais la pression syndicale était loin d’être absente. Hormis lieux de travail et écoles, le mode de vie des diverses composantes de la communauté européenne sfaxienne présentait des différences suivant la structure urbaine des quartiers où elles vivaient.





Une villa de la cité Lyon à Moulinville.
Photo A.Perrin, extraite de :
" Le réseau de la Cie des phosphates et du chemin de fer de Gafsa"
(Document : G. Bacquet)




Moulinville comportant essentiellement des villas entourées d’espaces verts de 500 à 1000 m2, majoritairement occupées par des familles d’Européens aisés, et où se trouvaient les cités ouvrières des employés du Sfax-Gafsa (cités Lyon et Monterra), les contacts entre voisins étaient forcément plus limités que ceux que pouvaient lier les habitants du centre ville (ville moderne et ancien quartier franc) ou surtout du quartier beaucoup plus populaire de Picville, où il y avait de petits immeubles occupés souvent par des familles nombreuses.
Dans ces derniers, les gens vivaient un peu comme une même famille, ou en tout cas dans une atmosphère de chaude amitié, sans que cela n’implique de familiarité excessive. L’amitié, si profondément fut-elle ressentie, suivait néanmoins les règles d’une courtoisie assez stricte. A l’occasion des fêtes religieuses des différentes communautés (juive, chrétienne et orthodoxe), il n’était pas rare que les mets alors préparés soient proposés à tous ceux de l’immeuble, mais non sans oublier de tenir compte des interdits alimentaires liés à certaines croyances religieuses.







Dans ces résidences les enfants se retrouvaient pour jouer et goûter ensemble, allaient les uns chez les autres car ils ne s’attiraient jamais la moindre remarque. Par ailleurs, et ceci était vrai pour tous les enfants quel que fut le quartier où ils vivaient, le jardin public où ils avaient de l’espace pour s’ébattre, les voyait arriver en masse les jeudis.




Les dimanches on les trouvait au cinéma où ils assistaient à la première matinée à 14 heures. Avant la séance, nombre d’entre eux avaient acheté un cornet en papier journal rempli de " glibettes " (graines de tournesol grillées) qu’ils mangeaient ensuite en séparant délicatement, à l’aide de leur langue, la graine proprement dite du tégument. C’était nettement moins calorique que le " pop corn ", mais après la séance les balayeurs avaient du travail pour enlever tous les téguments qui traînaient par terre.
Ils disposaient, en outre, de nombreux terrains vagues pour disputer d’homériques parties de football.





Autour de M. le curé Descroix, les scouts de Sfax posent fièrement.
(Document : Jean Lassau)




Pour les jeunes et les adolescents, le scoutisme réunissait de nombreux pratiquants : Scouts de France (catholiques), groupement créé en 1931 dont l’abbé Descroix était toujours le directeur en 1935, Éclaireurs et Éclaireuses de France (laïques) groupement autorisé le 23 mai 1914 et qui, en juillet 1916 comprenait une cinquantaine d’éclaireurs dont un italien et un anglo-maltais, le Président en était M. Georges Mocqueris et l’instructeur chef M. Albert Michel [Gérard Bacquet représenta la section de Sfax au sein de la délégation tunisienne qui participa au jamboree d’août 1951 à Bad Ischl en Autriche], Éclaireurs musulmans tunisiens et Union scoute musulmane. 
Outre leurs activités liées au scoutisme, ces deux derniers groupements ont donné des pièces de théâtre :  " El Ida ", au Majestic, le 27 janvier 1949 pour le premier, et " El Akouan ", à la salle des fêtes, le 4 décembre 1947, pour le second. 





(Photo Félix Berrebi)

Pour nager, les enfants, et même les plus grands, se rendaient à l’école de natation, initialement localisée sur la route menant à " Madagascar ", puis transférée ensuite dans le bassin dit " des pétroles " au bout de la plage Wiriot. Cette dernière plage, tout comme celle de la Poudrière, étaient peu propices à la pratique de la natation, car même à marée haute, il fallait aller fort loin sur un fond de vase assez dure pour ne plus avoir pied.





Les cabines de bain et un accessoire bien utile sous la chaleur du sud tunisien.
(Photo Coll. Ch. Attard)




Sur ces plages, avant le 2e conflit mondial, il y avait des cabines en location où les Sfaxiens se reposaient et dînaient en famille pendant la saison des bains qui, traditionnellement, commençait le 1er juin pour s’achever fin août.





L'ombre était rare à Chaffar,
mais les plaisirs rafraîchissants de la baignade toujours au rendez-vous.
(Photo Gilbert Bacquet)




A partir de 1945 et avec l’augmentation du nombre des automobiles, les Sfaxiens qui en possédaient une, allaient se baigner, soit à Chaffar (25 km) où il y avait une belle plage de sable avec des fonds de 3 à 4 mètres à 300 mètres du rivage, ou mieux encore à La Chebba (65 km ).




La plage de La Chebba

La Chebba 
(Photo de Marcel Attard)



Là, sur 2 ou 3 km d’une côte nue couleur de sable ourlée de falaises crayeuses délimitant une série de criques avec des petites plages de sable, ils pouvaient jouir d’une eau très claire sur des fonds sableux au bord, puis rocheux, de toute beauté.




Les rochers de La Chebba 
(Document G. Bacquet)


Les rochers de la Chebba

(Photo de Marcel Attard)



Un loisir très prisé des Sfaxiens était la pêche. Ceux qui possédaient un bateau pouvaient se livrer à deux types de pêche à la traîne selon la nature de leur embarcation. Si celle-ci était à voile (généralement avec un moteur marin auxiliaire), avec un leurre constitué d’une plume blanche, ils attrapaient des bonites, et ce même au ras des quais du port. Avec une simple barque à rames, en traînant lentement un petit poisson vivant servant d’appât, ils pouvaient avoir l’opportunité de ferrer des loups ou des liches.
Le premier type d’embarcations offrait la possibilité d’aller en rade, à 5 ou 6 km de la sortie du port, s’adonner aux plaisirs de la chasse sous-marine sur des fonds de l’ordre de 10 mètres, ou plus prosaïquement, de pêcher à la palangrotte des pataclés (nom local du sar commun) ou des petites dorades sur ce qu’on désignait par " la petite salade ", zone couverte d’algues ne dépassant pas 15 cm de longueur à une profondeur d’environ 4 mètres, au niveau de la 2e balise du chenal. Ces petits poissons permettaient de faire d’excellentes soupes.





Pêche mais aussi chasse, et les tourterelles fuyaient 
sans espoir nos valeureux tartarins !
(Photo Coll. Ch. Attard)




A la plage de Chaffar, à la limite entre le sable et la zone recouverte d’algues, à environ 300 m du rivage, là où les fonds atteignaient 3 ou 4 m, il n’était pas rare de pouvoir piquer à l’aide d’une foëne, les soles qui s’y tenaient en assez grand nombre enfouies dans le sable, seuls leurs deux yeux restant apparents.